Les économistes sont atterrés, interloqués, désemparés. Experts doctes, universitaires prestigieux, dans leurs écrits, comme dans les débats télévisés, ils ne savent plus comment expliquer la crise que nous vivons. Aidons-les un peu !
Si toutes les interprétations sont inefficaces, c'est probablement que nous ne regardons pas dans la bonne direction. Les économistes sont comme ces médecins hospitaliers qui ne comprennent pas la maladie de leurs patients, parce qu'ils n'ont pas compris que c'est l'hôpital tout entier qui bouge et se lézarde!
Dans la théorie économique, les cycles sont des périodes qui voient revenir, à des périodes hypothétiques, le même phénomène économique. Or, ce que nous vivons depuis quatre ans ne ressemble à rien de connu. Après une crise spéculative financière née aux Etats-Unis, dont les racines se trouvent dans le secteur immobilier, nous vivons une crise des dettes des Etats, dont l'épicentre se trouve en Europe, mais cette crise touche aussi tous les anciennes puissances développées.
Aujourd'hui, nous entrons dans une nouvelle phase de cette crise multiforme qui se caractérisera par la récession, une croissance négative, et son extension progressive à l'ensemble de la planète. Les économistes cherchent la porte de sortie, mais sans trouver de solutions convaincantes: cette crise est aussi une crise des solutions imaginées puisque aucune révolution technologique ne se profile à l'horizon.
Pour comprendre ce qui nous arrive, il faut remonter aux mois qui ont précédés le déclenchement du krach de l'automne 2008. La crise des prêts hypothécaires à risque (subprime) démarre aux Etats-Unis à partir de juillet 2007. Elle masque d'autres crises : celle de l'augmentation, sur les marchés mondiaux, des prix de bon nombre de matières premières agricoles et denrées alimentaires de base, celle de la qualification de "troisième choc pétrolier" donnée par certains observateurs au record historique du prix du baril qui a dépassé les 145 dollars en Asie le 3 juillet 2008.
Depuis, la crise économique a fait dégonfler ces bulles. Mais il nous faut voir la réalité en face : les véritables causes de nos maux actuels sont à chercher dans ces prix jamais atteints pour les ressources de base dont nous avons besoin pour alimenter nos économies.
Si les économies américaines et européennes n'arrivent pas à repartir, si la récession menace et s'étend, c'est parce que nous avons atteint un plafond de verre, invisible à la majorité des experts, celui de nos ressources en minerais, en aliments, en pétrole. Dans une économie totalement mondialisée, les ressources sont utilisées de manière globale. L'émergence de nouvelles puissances au Sud explique l'accélération de l'usage de ces ressources.
Mais quel lien entre cette crise des ressources et les origines du déclenchement de la dépression mondiale dans lequel nous sommes entrés? On pourrait nous répondre que le krach financier de l'automne 2008 et le malaise de l'endettement européen n'ont pas de relations avec l'augmentation du prix des ressources.
Or, ces liens directs existent. Prenons d'abord, la crise des subprimes. Ces produits bancaires complexes ont été utilisé essentiellement pour alimenter le marché du logement. Ils ont été employé comme une réponse à l'augmentation des prix de l'immobilier, phénomène occidental depuis 20 ans, mondiale depuis une décennie. L'augmentation du prix des terres est, en réalité, l'illustration d'un autre phénomène convergent : l'espace est une autre ressource qui manque et ne suffit plus pour répondre à la demande mondiale. Face à cette difficulté, les subprimes ont été la réponse -pourrie et potentiellement dévastatrice- inventée par le système financier. Le krach financière de l'automne 2008 a donc bien pour origine les tensions autour des ressources.
La crise des dettes publiques ne semble pas dépendre de cette crise des ressources. Mais en apparence seulement. En effet, toute la logique de l'endettement public provient d'une cohérence keynésienne : pour permettre l'innovation économique, il faut dépenser, par avance, de manière à alimenter le moteur de la croissance. Ce mécanisme a très bien fonctionné parce que de nouveaux territoires, de nouvelles technologies, de nouvelles ressources s'offraient continuellement aux sociétés, aux Etats et aux entreprises. Le rebond était toujours possible. On trouvait constamment les moyens de rembourser les dettes, une fois que la relance économique avait eu lieu. Or, il n'y a plus de nouvelles espaces et de nouvelles ressources pour espérer recommencer. A la fin du XXéme siècle, nous sommes entrés dans un monde fini, une planète dont les territoires sont partout maîtrisés et exploités. Le mécanisme de la dette s'effondre. Les sociétés, n'ayant pas conscience de ce phénomène, ont continué à utiliser ce moteur sans se rendre compte qu'elles creusaient leur tombe.
Pourquoi les observateurs ont du mal à percevoir ce qui est en train de se passer? D'abord parce qu'il reste quelques marges de manoeuvre qui font illusion : l'Arctique peut être perçu comme une nouvelle frontière, les gaz de schistes comme une nouvelle ressource, ... Ensuite, nos habitudes culturelles, nos modèles économiques en vigueur depuis que nous existons, sont basés sur l'exploitation de ces ressources. Nos cerveaux -et ceux de nos experts économiques particulièrement- n'arrivent pas à comprendre et à imaginer les phénomènes que nous vivons.
Nous avons atteint le plafond de verre de nos ressources. L'Occident, qui en est le principal consommateur, a été atteint le premier mais ce plafond est mondial et la crise va devenir mondiale.
Mais il serait inutile d'en rester à ce constat négatif. Il ne faut pas sombrer dans le pessimisme. Et cela pour deux raisons.
D'abord, si nous savons maintenant de quel mal nous sommes atteint, alors nous allons pouvoir nous soigner.
Ensuite, parce que c'est dans le mal -les limites de nos ressources- que se trouve la solution. Il nous faut maintenant construire des sociétés durables. Or, c'est dans cette édification que nous allons trouver les moyens de rebondir et de dépasser la crise globale qui nous a frappé.
Pour aller plus loin:
Les origines environnementales de la crise financière