La très grande majorité des observateurs de l'énorme crise que nous vivons en direct, ont une analyse exclusivement financière : la crise est purement économique. Dans cet article, nous voulons expliquer que cette crise a d'autres origines : la crise puise ses racines dans une crise écologique mondiale, crise invisible encore car elle est en train de naître.
Pour comprendre, usons d'une métaphore "automobile". Pour les observateurs, l'"automobile" de la croissance ne cesse de ralentir, et chacun se dit que ce ralentissement tient au passage d'une côte vraiment raide. Sitôt passé le col, la voiture pourra re-accélèrer.
En réalité, la voiture de la croissance ne cesse de ralentir car elle se déglingue de plus en plus, les pièces sont usées et encrassées. Cessons d'appuyer sur les pédales, soulevons le capot et tentons de comprendre pourquoi notre véhicule se révèle obsolète.
Cette relation entre crise économique et crise écologique est ignoré des analystes. Seuls les écologistes le suggèrent mais ils ont bien du mal à l'expliquer: Terraéco, par exemple, depuis deux mois, fait sa une sur cette double crise mais sans convaincre de ses liens.(*)
1-Une crise latente depuis des décennies:
Depuis des années, les puissances occidentales connaissent une croissance ralentie, une dette publique qui augmente, et un chômage de plus en plus lourd à porter. Si ces processus varient selon les pays, la tendance générale se retrouve partout, en Europe bien sûr, mais aussi aux Etats-Unis et au Japon. Toutes les différentes politiques choisies pour lutter contre ce phénomène ont échoué.
La crise actuelle trouve ses origines dans les montages financiers des banques ayant servi à alimenter la spéculation immobilière. Elle a été suivie par une crise des dettes publiques.
Or ces deux processus concomitants ont suivi le même chemin: le gonflement des emprunts des Etats, des entreprises et des ménages.
Chacun s'est endetté. La croyance est largement partagée : demain sera meilleure, demain, on remboursera. Et investir aujourd'hui suffit à espérer en l'avenir.
Or, l'avenir s'est progressivement bouché. Il s'est refermé car la rareté s'est progressivement imposée, dans tous les secteurs de nos vies et nos économies. Sans que nous nous en rendions compte, la rareté a fait grimpé les prix, accrue l'endettement de chacun, pour rembourser des sommes de plus en plus lourdes, sur des temps de plus en plus long.
La rareté? De quoi s'agit-il? L'accès, de moins en moins aisé, à des ressources qui ont nourries notre croissance lors des Trente Glorieuses, a progressivement grippé la croissance.
Nous croyons que cette crise est une crise cyclique de plus. Nous sommes dans la situation du futur cardiaque à la veille d'une thrombose . Il pense vivre un coup de fatigue de plus alors que ses artères sont complètement bouchées.
Notre crise est le fruit de nos excès passés comme la victime d'un infractus qui paie son hygiène de vie déplorable.
2-La rareté au coeur de la crise:
Quel rôle joue la rareté dans le processus de crise? Elle accroît la concurrence et donc augmente les prix. Elle est partout, dans tous les processus de la vie économique. Progressivement, depuis des décennies, l'offre de ressources augmente moins vite que la demande sans cesse croissante. Les prix montent et les différents acteurs économiques s'endettent pour s'adapter à cette évolution.
La concurrence pour l'accès aux ressources minérales issues du sous-sol semble le premier frein à la croissance. L'achat d'hydrocarbures explique, à lui seul, le déficit de la balance des paiements de la France depuis une décennie. Dix ans de pétrole, c'est la moitié du déficit public français. Et ce phénomène touche tous les autres pays occidentaux.
Bauxite, phosphate, fer, .... bien d'autres achats viennent plomber les comptes des entreprises, puis par ricochet, celui des Etats et des ménages.
Le même processus est en route pour les ressources alimentaires. En Europe, les prix des fruits et légumes sont artificiels : ils seraient beaucoup plus élevés si on tenait compte des externalités, de la consommation réelle des ressources environnementales nécessaires pour les produire. Pourtant, l'indice des prix alimentaires a été multiplié par trois depuis 2000. La demande croissante de produits alimentaires dans le monde rencontre les limites des facteurs à la base de la production alimentaire : terre, eau, énergies...
Les territoires sont soumis à la concurrence entre les différents usages : partout sur la planète, l'agriculture subit l'avancée de l'urbanisation. Les zones "naturelles" sont soumises à une pression énorme. Les métropoles s'étalent au détriment des zones agricoles. Les prix de l'immobilier explosent entraînant la spéculation immobilière.
La "rareté" des espaces disponibles est en lien direct avec la crise financière : pour trouver l'argent nécessaire pour financer les emprunts immobiliers, les banques ont inventé les produits dérivés.
Enfin, dernière rareté, la quantité de travail disponible n'a pas augmenté aussi rapidement que la population active: le chômage explose.
La conjonction de ces différentes rareté a entraîné une embolie des systèmes économiques, incapables de répondre à l'explosion de la demande. La mondialisation, en démocratisant un système économique réservé auparavant à l'Occident, a accéléré le phénomène.
Le recours à l'emprunt, "en attendant des jours meilleurs", a fini de grippé le système : par exemple, depuis des années, le budget de l'Etat français, se fonde sur des prévisions de croissance erronées, systématiquement revues à la baisse mais qui, à chaque fois, ont favorisé le creusement de la dette.
La majorité des experts et analystes sont incapables de trouver les réponses à la crise, faute d'avoir les bonnes grilles d'analyse.
Intégrer la rareté croissante des biens et des territoires nécessaires au développement devient indispensable pour espérer trouver des voies de sortie.
3-Comment en sortir?
Il faut cesser de croire au "retour de la croissance". Elle ne reviendra plus. Cette résignation nécessaire permet alors d'envisager d'autres voies pour re-construire des sociétés viables et justes.
Le partage plus équitable des espaces, du travail et des biens devient alors une exigence vitale. La recherche d'une économie durable, fondée sur des circuits circulaires d'utilisation des ressources, exige alors des politiques volontaristes et innovantes.
Tenir compte de la rareté dans les processus de production impose des écosystèmes humains complexes. Dès lors, il faut envisager d'autres modalités d'actions économiques : l'argent ne peux plus être le seul outil de régulation et de redistribution économique.
Il faut tenir compte des différentes externalités pour obtenir le coût réel d'un bien. Il faut aussi tenir compte de la durabilité d'un bien ou d'un service pour en apprécier la valeur.
Dès lors, seule la fiscalité permet de différencier les "bons" usages des "usages" polluants ou gaspilleurs de ressources. La fiscalité environnementale devient l'instrument indispensable de régulation des politiques innovantes dont nous allons avoir besoin.
Cette fiscalité a un autre intérêt : lourdement endettés, les pays et les ménages n'ont plus les marges de manoeuvre financières qui leur permettraient d'investir pour entamer ces nécessaires mutations. C'est à cela que doit servir la fiscalité environnementale : leur donner des ressources pour s'adapter à un monde où la rareté devient un facteur crucial.
Résumons: pour aller plus loin, il faut faire le deuil de la croissance à tout prix, chercher Les origines environnementales de la crise financière, comprendre que nos ressources sont limitées, que le pétrole est une addiction dont nous devons sortir. Il nous faut admettre que la dette est un problème sérieux. Alors seulement, nous pourrons trouver des réponses cohérentes à nos difficultés, trouver des solutions globales au cancer du chômage, imaginer les outils fiscaux de demain, inventer l'urbanisme et l'agriculture dont nous aurons besoin pour des sociétés durables et stables, au risque de chercher l'utopie.
(*) Dans le numéro d'octobre de Terraéco, le dossier consacré aux pistes pour sortir de la crise, on trouve, pelle-mêle: "faire dire la vérité écologique aux marchés" mais aussi "renforcer la mixité hommes-femmes", "développer des monnaies non-spéculatives", créer des Etats-Unis d'Europe", .... Un inventaire à la Prévert plutôt qu'une stratégie globale.