Retraites, dettes publiques, chomâge, croissance anémiée : autour de ces problèmes récurrents et de plus en plus problématiques, le débat fait rage au sein de la société française. Dans les médias, les forums sur internet, dans les familles, chacun y va de son explication, et de ses solutions, défendant pied à pied son point de vue. Mais ce débat n'est-il pas, pour des considérations idéologiques, et par manque de recul des protagonistes, totalement biaisé? Ne faut-il pas chercher d'autres systèmes d'explications à ses origines?
Malgré les divergences de point de vue, on peut rassembler les opinions autour de deux familles qui recoupent le paysage politique français.
Première famille qui explique la crise par des rigidités structurelles et un Etat qui serait dépensier. La famille de droite explique que les rigidités administratives empêchent les entreprises d'être concurrentielles et que l'Etat et les fonctionnaires ont un poids financier qui progressivement nous ruine.
La deuxième famille, celle de la gauche, explique les problèmes français par les inégalités au sein de la population française, les riches ne participants pas de manière suffisante à la solidarité nationale. Elle affirme aussi les nuisances du modèle spéculatif.
Ne rentrons pas dans les profondeurs de ce débat. Prenons un peu de recul et de hauteur pour examiner la situation. Cette situation de crise, nous la partageons aujourd'hui avec l'ensemble des pays de l'Union Européenne. Nous la vivons depuis longtemps, en gros depuis 1973, avec un approfondissement de cette crise, de plus en plus difficile malgré quelques périodes de rémissions.
Depuis près de 30 ans, les pays européens ont tenté différentes politiques pour enrayer cette crise. Certes, on a cherché parfois des modèles (scandinaves, anglais, allemand, etc...) qui semblaient avoir des solutions. Mais si parfois des spécificités nationales semble avoir diminuer l'ampleur de certains aspects de la crise, elles sont bien présentes partout, quelque soit le pays.
Ainsi, la famille de droite prend souvent le modèle anglo-saxon comme référence. Mais le Royaume-Uni, comme les Etats-Unis d'ailleurs, ont aujourd'hui une dette publique abyssale, alors qu'ils ont toujours appliqués des politiques publiques largement moins interventionnistes que nous (y compris chez leurs libéraux, dits de gauche). Comment ne pas émettre un doute alors? Et si le problème était ailleurs? Dans autre chose qui aurait échappé à l'analyse courante?
La famille de gauche a vu ses conceptions politiques mise en pratique dans de nombreux pays européens, parfois pendant des décennies entières (France, Espagne, pays scandinaves, ...). Et pourtant, cela n'a pas suffit à empêcher les délocalisations et la montée du chômage. La répartition des richesses a continué à s'aggraver. Comment là aussi, alors, ne pas se mettre à douter? Et si la recherche de davantage d'équités, le souci de solidarité, n'étaient pas suffisants pour éviter l'approfondissement de la crise? Et si, le problème était ailleurs, si on n'avait pas compris ce qui s'est passé?
J'utilise souvent la métaphore du gâteau pour expliquer mon point de vue : la gauche explique que, pour résoudre le problème, il faut repartager le gâteau en faisant des parts plus égales. La droite a une opinion différente : les parts ont été découpés de manière trop nettes et rigides, il faut donc mettre le gâteau en miettes et chacun pourra se servir selon ses besoins.
Mais ni l'un, ni l'autre, n'ont compris ce qui s'est passé depuis 1973. Chaque année le gâteau a distribuer a été de plus en plus petit. On ne s'en est pas rendu compte parce que le mouvement a été imperceptible au début, parce qu'il a été masqué par des artifices, des confiseries posées sur la pâtisserie qui ont fait illusions (explosion urbaine, progrès technologiques, spéculation temporairement positive) qui nous ont fait croire que le gâteau continuait à être aussi beau et aussi gonflé qu'il l'était à l'époque des Trente Glorieuses.
En réalité, nous nous sommes, collectivement, appauvris pendant toutes ces années, voyant gonfler nos dettes, nos dépenses, perdant des recettes. Cette tendance a pris, certes, des chemins différents selon les pays, mais elle est une constante forte dans l'ensemble de l'Union Européenne et des Etats-Unis.
Que s'est-il passé alors depuis 30 ans dans nos pays dits, à l'époque, développés? Comment expliquer cette tendance de fond? Pourquoi aucun volontarisme politique n'a réussi à l'enrayer de manière forte et durable?
Pour comprendre ce qui s'est passé, il faut chercher les tendances de fond de nos sociétés. Il faut abandonner l'écume de l'actualité quotidienne, relativiser les signes locaux et temporaires qui feraient croire à la fragile victoire d'une thèse sur une autre. Il faut chercher les tendances lourdes, les mouvements de fond, faire le travail que recommandait l'immense historien Fernand Braudel : se placer dans le temps long, celui qui recoupe plusieurs décennies, se mesure à l'échelle d'un continent. Il faut dépasser l'analyse pointilliste des faits et chercher la synthèse, ce qui nous rassemble tous, depuis 30 ans, sur l'ensemble de notre vieux continent.
Que partageons-nous donc, tous,depuis si longtemps?
A mon sens, deux choses :
-Notre dépendance a une matière première devenue névralgique dans nos existences quotidiennes : le pétrole et autres hydrocarbures. Nos modes de déplacement et d'habitat sont fortement dépendant de ce carburant, nos vies quotidiennes dépendent du plastique devenu le matériau incontournable de la quasi-totalité des objets qui nous environnent. Devenu omniprésent, nous avons oublié son existence devenue une évidence qui ne se discute plus.
Or, cette addiction a un coût très important. La facture pétrolière pour notre seul pays représente actuellement une dépense nette de 60 milliard par an. Si le pétrole remonte à 200 dollars le baril, nos économies ne résisteront pas à quelques années de cette dépendance.
Depuis quelques années, cette tendance se renforce. D'autres matières premières voient leur prix augmenter : les céréales, le papier récemment, les minerais. Cela s'explique par la montée en puissance des pays émergents qui en se développant vont accroître la consommation de ces différentes matières premières.
Depuis maintenant une bonne quinzaine d'années, la conséquence de ces dépendances aux matières premières se fait lourdement sentir sur notre balance commerciale et sur notre balance des paiements. Nous perdons actuellement, pour chacune de ces deux balances, plusieurs dizaines de milliard par an.
Notre pays s'appauvrit ainsi de plusieurs dizaines de milliards par an. Chacun en paie le prix : les entreprises, les ménages, les administrations.
-un phénomène n'a fait que se renforcer depuis le début des années 80 : la mondialisation de l'économie. Celle-ci, en jouant sur les différentiels de salaire et de compétitivité a progressivement mis hors jeu des pans entiers de l'industrie européenne. Nous, les Européens, achetons toujours plus de produits manufacturés hors d'Europe.
Ce phénomène est de moins en moins compensé par une valeur ajoutée de nos entreprises, qui, pans par pans, se voient progressivement privés des avantages comparatifs qu'elles possédaient en terme d'avances technologiques.
Ainsi, notre balance commerciale se trouve de plus en plus amputée par ces achats de produits manufacturés, achetés dans l'atelier du monde asiatique. Alors que la fermeture de nos propres ateliers accroît le coût social d'une population de plus en plus fragilisée.
Que faut-il en conclure?
Quelques idées.
D'abord, il est souvent courant de définir la crise par ses indicateurs : le taux de chômage, le taux de croissance, le poids de la dette. Il serait préférable de le définir par les processus en cours, ceux qui l'expliquent et en constituent l'enjeu: la dépendance toujours croissante aux matières premières, aux hydrocarbures et aux produits manufacturés.
Ces dépendances, de plus en plus importantes, nous fragilisent de plus en plus.
Si il fallait définir notre crise depuis trente ans, il faudrait le faire autour de l'idée d'appauvrissement continu, certes, relative au regard du reste du monde, mais bien réel.
Il est devenu nécessaire de sortir du débat mortifère sur les responsables du problème : les riches et les spéculateurs pour le camp de gauche, l'Etat et les fonctionnaires pour le camp de droite, sans compter une certaine droite qui stigmatise les pauvres et les étrangers. Si il fallait désigner une responsabilité, elle serait à chercher dans nos modes de vie à tous : l'hyperconsommation déresponsabilisée autour du pétrole, ressource vitale à l'économie du XXéme siècle.
Cela nous permettrait de nous attaquer au seul débat qui, me semble-t-il, mérite qu'on s'y intéresse: comment en sortir?
Pour en savoir plus:
Pourquoi la croissance économique ne reviendra plus?
Endettement de la France: trouver des solutions
La mondialisation, au coeur de la crise financière