Depuis 10 ans, obsédés par l'accroissement du taux de gaz carbonique dans l'atmosphère, alarmés par la montée des périls climatiques, les écologistes et les médias se focalisent sur la gestion du carbone dans l'atmosphère. Considérant les autres problèmes écologiques (accès aux ressources, alimentation, enjeux énergétiques, ...) comme secondaires, ils ont proposé des stratégies qui se révèlent des échecs retentissants.
En France, les partisans de ces politiques sont aphones ou désemparés. Si le site de l'Association TACA reste actif sous la houlette de son dynamique président Jean Sireyjol, le site Taxecarbone info n'a plus été mis à jour depuis décembre 2010 et celui d'Hyperdébat, destiné à alimenter le débat sur cette question, depuis Avril 2010.
Après avoir pleuré sur l'abandon de la taxe carbone en mars 2010, Jean-Marc Jancovici va, dans les mois qui vont suivre, cesser d'alimenter son célèbre site Manicore pendant près d'un an, se contentant de ses chroniques sur France-Info. Quant à son collègue, Alain Grandjean, il est passé à autre chose, préoccupé par l'idée d'un grand emprunt écologique ayant pour objectif de relancer à la fois la mécanique écologique et l'économie des pays européens.
Fabienne Keller, sénatrice UMP, qui a défendu ce projet, y croit encore mais sur le plan européen.
Ce qui frappe aussi en allant sur ces sites, c'est qu'il ne s'agit pas de lieux de débat. La possibilité de mettre des commentaires aux articles est en général désactivée par leurs auteurs. Ceux-ci ne répondent pas toujours quand on leur envoie des mails, ou parfois, cessent brutalement une correspondance comme j'ai pu l'expérimenter récemment.
Pourquoi l'échec?
Les militants pro-carbone sont en réalité en échec complet. Les deux stratégies qu'ils ont proposé sont des naufrages cuisants.
La première, celle du marché carbone, lancé en Europe en 2005 sous le nom d'European Union Emissions Trading Scheme, ne fonctionne pas correctement. Ce marché, qui permet d'acheter et vendre des droits à polluer, a surtout permis à certains pollueurs de gagner de l'argent ce qui est un comble ! Mis en place, au début des années 2000, au moment où le libéralisme paraissait triomphant, le marché carbone avait surtout besoin d'une régulation qui a tardé. Le plan national d'allocation de quota n'est pas assez restrictif, les autorités étant soumis à un intense lobbying de la part des grandes entreprises polluantes.
La seconde, celle de la taxe carbone se révèle une stratégie inefficace. Fer de lance du Grenelle de l'Environnement, elle a été brutalement abandonnée à l'hiver 2010, devant les critiques qu'elle suscitait. Depuis, ses défenseurs espèrent une mise en place européenne, qui n'est annoncé qu'en 2013, au mieux. Mais avec la lenteur et la complexité européenne, il est permis de penser qu'elle sera probablement mise en place beaucoup plus tard ! Que de temps perdu alors que Jancovici et Grandjean nous annonçaient, en janvier 2009, que nous n'avions que "trois ans pour sauver le monde" !
"Pourquoi tant de haine" et de fermeture d'esprit?
La vérité cuisante pour les partisans de la lutte contre le carbone est la suivante: ils ont échoué.
Reste à comprendre pourquoi, de manière à éviter, à l'avenir, la reproduction des mêmes erreurs. Faisons la liste des bévues, maladresses et fourvoiements des défenseurs de la stratégie carbone:
1-L'obsession simpliste:
C'est une démarche scientifique qui se révèle inopérante dans la "vraie vie": le problème du carbone est probablement la principale difficulté auquel est confronté aujourd'hui l'Humanité. Mais elle n'est pas la seule: obsédés par un problème qui ne pouvait être compris que par des personnes ayant un minimum de culture scientifique, les anti-carbone ont oublié ou, ont mis de côté, les autres problèmes. Or, le carbone n'est pas visible, les problèmes de la majorité de leurs concitoyens sont autres. D'où la critique et la caricature de l'écologiste en bobo : "le carbone, c'est un problème de riches".
De culture scientifique, les anti-carbone ont considéré la planète comme un objet de laboratoire, enfermé dans une éprouvette. Ils mésestiment souvent ceux qui ont une culture humaniste (1). Réduire les problèmes du monde à un taux de gaz carbonique s'était s'exposer, en retour, à prendre en pleine figure la complexité du réel.
2-La vision manichéenne du monde:
Dés lors qu'on est tourmenté par une idée, on ne comprend pas que les autres ne la partagent pas. Si vous n'êtes pas d'accord avec moi, alors c'est que vous êtes contre moi. Le scientifique est persuadé aussi, avec sa rigueur, qu'il détient la vérité.
Il n'a pas tort, certes (et dans ce cas précis, il a parfaitement raison sur le diagnostic !) mais la réalité est beaucoup plus complexe que cela. Aux problèmes du carbone et de l'énergie s'ajoutent des interactions et des interrelations avec les problèmes du chômage, de la concurrence pour les territoires, du social, de l'évolution lente des mentalités, et bien entendu, de l'économie.
3-La démarche a-démocratique
Une réforme, un changement ne peut pas se faire contre la population et ceux qui sont concernés. Faute d'avoir pensé aux personnes, à leur intérêt immédiat, à leurs motivations et à leurs visions du problème, les anti-carbone s'exposaient à rester incompris (ce qu'ils sont par une majorité de français) et être désavoués par les politiques (ce qui s'est effectivement passé avec la taxe carbone (2)). D'où les critiques qui ont plu sur eux les accusant de préparer un nouveau totalitarisme.
4-La confusion des enjeux:
Hanté par le problème du carbone, les anti-carbone ont souvent considéré que le nucléaire était davantage une solution qu'un problème. Ils se retrouvent aujourd'hui, en situation difficile, car Fukushima a révélé que l'équation du nucléaire n'était pas aussi simple que ces défenseurs voulaient nous le faire croire.
Encore une fois, la complexité du réel s'est rappelé à eux.
5-la dictature des experts:
Les partisans de la taxe carbone se sont regroupés autour de quelques experts et figures médiatiques. Dès lors, la parole de ces experts avait valeur de sermon et tout argument émettant des doutes sur la taxe carbone, s'interrogeant sur son efficacité et sa pertinence, pour répondre au défi de l'augmentation du taux de gaz carbonique, était perçu comme une hérésie.
Conclusion:
Qui aime bien, châtie bien. Depuis 5 ans, je tente d'alerter les experts défenseurs de la taxe carbone, sur les défauts de leurs stratégies. J'envoie des mails, j'écris des articles. Ils ont toujours traité mes propos avec le mépris du silence.
Combien de temps, les anti-carbone vont-ils considérés que ceux qui ne sont pas d'accord à 100% avec eux sont forcément leurs ennemis? Combien de temps, vont-ils considérer que, si on n'a pas fait Polytechnique, l'ENA, si on n'est pas Professeur des Universités, on n'est pas légitime pour parler ou débattre de ces questions?
Combien de temps vont-ils mettre avant d'interroger sur leur proposition de taxe carbone? Se demander, finalement, si elle n'est pas une mauvaise solution à un vrai problème? Qu'elle est, peut-être, simpliste et réductrice? Combien de temps vont-ils croire que, malgré ses échecs, c'est la seule envisageable? Combien de temps vont-ils avoir la naïveté de penser que ma proposition de contributions incitatives est contre leur taxe carbone alors que je veux perfectionner et améliorer, avec eux, la fiscalité environnementale?
Je fais un rêve: celui, où un jour, les experts iront discuter avec les marchands et les pauvres gens, celui où les vrais solutions émergeront du débat démocratique entre tous, celui où tous ceux qui sont conscient des problèmes écologiques cruciaux qui nous menacent chercherons ENSEMBLE des solutions.
Il est malheureusement probable que, après cet article, les anti-carbone vont encore davantage me considérer comme leur ennemi. Si c'est le cas, tant pis pour eux: mais il est me semble assez étrange de penser que l'on puisse sauver le monde et mépriser, en même temps, ceux qui sont convaincus par ce combat.
Explication au lecteur: Cet article est écrit par un auteur en colère. Depuis 5 ans, j'écris et je réfléchis à la fiscalité environnementale. J'ai tenté, à de nombreuses reprises, de prendre contact avec des experts réfléchissant à cette question, particulièrement les membres du comité de veille écologique de la fondation Nicolas Hulot. Je n'ai jamais eu aucune réponse de leur part, ni encouragement, ni débat. Le seul qui ai répondu fut Jacques Weber. Même brefs, nos échanges furent alors fructueux.
Il est probable que mes idées soient discutables, je voudrais alors qu'elles soient discutées.
Pour aller plus loin:
les articles consacrés à la taxe carbone
et particulièrement:
Quel avenir pour la fiscalité environnementale?
pour comprendre pourquoi la taxe carbone n'est pas la bonne solution.
(1)A propos de son dernier ouvrage, Jean-Marc Jancovici dit dans une interview : ... c’est que les politiques, à quelques exceptions près, n’ont pas de formation scientifique. Il y a deux cents ans, les grands scientifiques de notre pays étaient très impliqués dans la politique. Ils ont disparu. Aujourd’hui, les politiques sont plus souvent des avocats ou autres professions littéraires. Ils ne font pas la différence entre le réel et l’irréel....
(2) Avant de mettre brutalement fin à nos échanges, Alain Grandjean me livrait dans un mail son analyse de l'échec de la taxe carbone. Il en faisait reposer la responsabilité sur la majorité politique actuelle sans remettre en cause la stratégie choisie de la taxe carbone.